Interview réalisée par Mme Lim-Kee, professeur de français

Présentation de Jérémy (Interview réalisée par un professeur de collège)

Jérémy, 18 ans, est un jeune homme énergique : après 5 ans de parkour, il a jonglé entre skate, surf et snowboard. Une passion telle qu’il a immédiatement pensé à être shaper, ce qui l’a mené aujourd’hui à la menuiserie.

D’abord en 6ème à Jurançon où il décrochait, il redouble la 6ème à Bétharram en ordinaire, puis passe en 4ème SEGPA directement. La 3ème SEGPA se poursuit au lycée de l’ensemble scolaire à Igon, puis successivement le CFA, un an aux Compagnons, et le CAP Menuiserie.

Pour commencer, peux-tu nous parler de ton parcours scolaire ?

– J’ai redoublé le CE2 puis j’ai redoublé ma 6ème. Après, on m’a proposé d’aller soit en 5ème normale soit en 4ème SEGPA. Du coup, pour rattraper un an, je suis allé en 4ème SEGPA. J’ai fait la 3ème en SEGPA, et après je suis allé en Apprentissage menuiserie directement. J’ai fait un an aux Compagnons, j’ai fait la 2ème année au CFA et j’ai eu mon CAP Fabricant. À présent, je prépare un autre CAP menuiserie en un an, CAP Installateur.

Et vous, Mme V., comment qualifieriez-vous la scolarité de Jérémy ?

– Oula! (rires) Alors, on va dire très chaotique. À partir du CP – en maternelle, il n’y avait pas de souci – ça a été très compliqué jusqu’à la 6ème. Il est allé au CMPP, il a fallu faire de l’orthophonie. Il aurait dû être orienté, je pense, dès le primaire parce que c’était difficile. 

Comment vous a-t-on dirigé, justement, vers la SEGPA ?

– C’est le directeur de l’établissement qui a vu les notes de Jérémy et ses difficultés et qui a préféré l’orienter vers une SEGPA. Enfin, lui et les profs. Sur un cursus classique, ce n’était pas sûr qu’il suive, donc la SEGPA était mieux pour lui.

Pour toi, Jérémy, est-ce que ça a été un choix ou une obligation à ce moment-là ?

– C’était un peu les deux ! Parce que, de toute façon, dans la proposition qu’on me faisait, dans les deux cas, il y avait quelque chose qui me déplaisait. Je voulais rester en général pour éviter les moqueries que je pouvais avoir ; mais alors, j’avais deux ans de retard sur les autres élèves. Pour moi c’étaient des gamins. Au final, j’ai préféré rattraper un an que de rester en ordinaire parce que je savais très bien que je n’allais pas y arriver. Au final, les moqueries, j’en n’ai pas eues tant que ça non plus, et ça s’est plutôt bien passé.

Et vous, Mme V., la première fois qu’on vous a parlé de la SEGPA, vous avez réagi comment ? Quel a été votre sentiment à ce moment-là ?

– Alors, c’est vrai qu’au départ, la SEGPA c’est un peu stigmatisé. J’avais entendu « oh, la SEGPA, c’est pas bien ! ». Après, ce que je voulais, c’était qu’il avance, qu’il s’en sorte, donc c’était finalement la bonne solution pour lui. Il a fallu lui expliquer, parce que lui aussi avait cette opinion-là. Il a fallu lui expliquer que pour son bien, c’était le mieux d’aller dans cette direction-là.

Et comment vous vous représentiez cette SEGPA, pour que vous ayez quand même l’un et l’autre ce rejet ? Comment vous vous l’imaginiez ?

– Pour les gens autour de moi, c’étaient des enfants qui avaient forcément des difficultés psychologiques, des difficultés de comportement… donc c’était un petit peu rencardé, c’était une voie de garage. C’était perçu comme ça. Après, j’avais un petit peu ce sentiment, mais pas vraiment… je ne savais pas. Mais vu que mon entourage pensait ça, je me disais « oui, bon c’est vrai, peut-être que c’est pas si bien que ça ».

Et le premier jour où vous y avez mis les pieds, Jérémy vous faisait des retours ?

– Eh bien là, c’était mieux. Et surtout, je voyais qu’il avançait beaucoup mieux même si c’était toujours compliqué pour lui. Et puis là, ils étaient un petit nombre, donc ça se passait quand même mieux que dans une grande classe. Le programme était plus allégé, adapté, plus simple ; c’était plus simple pour lui de comprendre les consignes ; là, le rythme était moins rapide.

Pour toi, Jérémy, la rentrée s’est passée comment en SEGPA ?

– Disons que, vu que ceux qui étaient en SEGPA, c’étaient déjà tous mes copains – je les connaissais parce que dans la cour, on était ensemble – ça allait. Sinon, après… j’avais peur! J’avais peur de ce qu’il allait se passer. Je ne savais pas comment ça allait se dérouler. Je ne me souviens plus trop. Peut-être que j’avais peur de me sentir inférieur, mais au final quand je suis arrivé là, je me suis dit « c’est pareil, c’est la même chose ». Oui, au début j’avais peur de mal le vivre, de me sentir inférieur aux autres.

Comment s’est passée ta scolarité en SEGPA, par rapport à ce que tu as vécu en ordinaire ? Est-ce que tu as repéré des choses différentes en classe ?

– Franchement, une fois que j’étais en cours, je ne voyais pas tant de différence que ça. Je voyais qu’on prenait plus le temps pour que je comprenne. C’était ça la plus grosse différence. En cours, si t’as pas compris, il faut faire suivre le groupe ; je me disais « je comprends pas, je suis là, personne m’explique. Au pire, que je travaille ou que je travaille pas, de toute façon y’a personne qui va m’aider. Ça sert à rien que je fasse l’un ou l’autre. » Alors qu’en SEGPA, je pouvais mieux apprendre. Je me sentais plus aidé. On revoyait les bases. Du coup, je comprenais mieux. La plus grosse différence, c’est qu’on m’aidait, qu’on revoyait les bases du coup le reste allait être plus facile.

Il me vient une question : les notes que tu as pu avoir en SEGPA, par rapport à celles que tu avais dans l’ordinaire ?

– Elles ont remonté considérablement.

Et tu penses qu’elles étaient justifiées, ces notes, ou tu penses que c’était un leurre ? Tu les méritais, ou pas ?

– En fait, je sais pas. Oui, oui, je les méritais parce que c’était moi qui avais fait le devoir, mais je pensais que c’était de la chance. Je me disais que peut-être le contrôle était trop facile. Je me disais que ça pouvait pas être juste moi et mes capacités qui auraient pu faire que j’aie eu juste.

Tu doutais des bonnes notes que tu ramenais ?

(C’est Mme V. qui répond) – Il n’y croyait pas, en fait. Il pense ça depuis le CP, il a perdu tout à fait sa confiance.

(Jérémy répond) – En fait, je cherchais toujours un truc qui n’allait pas, un truc qui faisait que ce n’était pas juste moi.

Tu m’as apporté un gros élément pour aider les élèves qui pensent comme toi, qui ne pensent pas qu’ils sont capables. Et que ça se manifeste jusque dans la note… 

Et d’après vous, Mme V., qu’est-ce qui était différent en SEGPA par rapport à une classe ordinaire ?

– C’était plus simple ! L’enseignement était le même mais c’était plus court, plus simple, adapté ! Dans une classe classique, comme il dit, si tu ne suis pas, ben tu suis pas, tant pis. En SEGPA, les professeurs n’avaient pas cette attitude : « tu ne comprends pas, ben on va réexpliquer… 10, 15, 20 fois ! ». 

Pour résumer ta pensée, tu t’es senti plus à ta place en SEGPA, Jérémy ?

– Complètement. En ordinaire, je n’avais rien à faire là. Le truc qui me cassait, c’était que je me disais que j’avais rien à faire là mais que j’étais obligé d’y être. Je m’étais dit « je suis coincé, je ne peux pas m’en sortir, je suis obligé d’attendre … que ça se termine ! ».

Et aujourd’hui, tu regrettes d’être allé en SEGPA ?

– Non, je ne regrette pas. J’aurais peut-être dû y aller plus tôt.

(Mme V. prend la parole) – Oui, dès la 6ème. L’orientation aurait dû être faite dès la fin du CM2. Quand il avait fallu que tu redoubles la 6ème, à la fin de la première 6ème, on m’avait proposé la SEGPA. À ce moment-là, il n’en était pas question.

Toujours par rapport au regard qu’avaient les autres ?

(Mme V.) – Bien sûr. Je me disais qu’il avait des difficultés, mais qu’il n’était pas à ce point… pas bon, quoi. (Jérémy) – Le problème qu’il y a eu, c’est que vu que j’avais énormément de difficultés, je décrochais hyper vite en cours. Vu que je décrochais, mes difficultés étaient souvent apparentées au fait que je ne faisais rien, que je mettais le bazar. Du coup, mes profs étaient focalisés sur le fait que je n’avais pas forcément de difficultés, j’étais juste un branleur, quoi !

Mme V. – Et le fait que tu sois dyslexique et dysorthographique, ça a été décelé à Lestelle. Jusque-là, on ne m’avait pas parlé de dyslexie, ni de dysorthographie. Et là, ça a expliqué toute ta scolarité. 

En SEGPA, à partir du moment où la dyslexie et la dysorthographie ont été décelées, est-ce que tu as repéré quelque chose de différent dans la façon de travailler ?

– Ce qui a changé c’est surtout l’approche des profs par rapport à mes difficultés. Ils les connaissaient et les acceptaient.

Jérémy, si aujourd’hui tu devais faire un bilan, que t’a apporté ce passage en SEGPA ?

– J’ai compris que nous sommes tous différents. Au début j’avais peur d’être différent. Au final, je me suis dit que personne n’est pareil. J’ai compris aussi qu’on pouvait m’aider, que ce n’était pas parce que je ne comprenais pas, qu’on allait me laisser sur le côté, que je pouvais avoir quelqu’un derrière moi, qui allait me pousser jusqu’à ce que j’arrive à mon objectif.

(Mme V.) – En fait ça t’a redonné confiance en toi.

(Jérémy) – Oui, et puis aussi j’ai vu que les profs étaient tout aussi humains que moi. En fait ce que la SEGPA m’a apporté, c’est d’accepter que je pouvais réussir. Que je ne suis pas si différent que ça des autres !

C’est un beau résumé que tu fais là !

(Mme V. rajoute) – Que tu n’es pas si nul que ça. Maintenant, quand tu es au boulot et qu’on te booste, tu peux te dire « ce n’est pas pour me dire que je suis nul, c’est pour que je m’améliore ».

(Jérémy) – Oui, voilà. Forcément, dans la vie, il n’y a pas de hasard. Je pense que la SEGPA, par rapport à ma vie personnelle, ça a été un entraînement. Parce que, par exemple, avec mon patron de l’an dernier – c’était un patron très dur – la SEGPA m’a apporté de relativiser un peu et de me dire que c’est pour mon bien, c’est pas méchant, c’est pas pour me « casser ».

Mme V. – Pour que tu réussisses. C’est pas pour te rabaisser.

Justement, une fois que tu as fini la SEGPA et que tu es revenu en ordinaire, ça ne t’a pas fait bizarre de perdre ce cadre ?

– Non. Je me suis dit « je reviens juste dans une salle de classe ». J’ai retrouvé ce truc où « si tu ne suis pas, ben… voilà ! » mais je me suis dit aussi que je ne suis pas là pour rien non plus et qu’il faut que j’essaye de suivre.

Tu avais une autre attitude et la maturité aussi.

– Quand je suis arrivé au CFA, je me suis dit « si tu ne comprends pas, essaye quand même. C’est sûr que si tu n’essayes pas, on ne va pas se donner la peine pour toi ». La SEGPA m’a fait beaucoup grandir. 

Quels ont été tes meilleurs souvenirs à la SEGPA ?

– Je n’ai pas de moments précis, mais j’aimais la complicité qu’on avait entre nous, dans la classe. Une prof principale qui nous comprenne, comme Mme C.. J’ai plein de souvenirs avec elle ! 

(Mme V.) – Tu retrouvais ce côté maternant dont tu avais besoin avec Mme C..

(Jérémy) – Elle n’était pas juste une prof avec nous. C’est pour ça qu’on était différents avec elle. Elle nous apportait une certaine… chaleur, humanité …

Pour terminer, si tu devais rassurer un élève qui doit passer en SEGPA, qu’est-ce que tu lui dirais ?

– Je lui dirais que la SEGPA, c’est là pour lui, c’est juste là, pour l’aider. Il n’en sortira que plus fort. Quand j’étais en général, je me souviens que j’étais pas bien, que ce soit en cours ou à l’extérieur des cours ! Quand je me levais le matin, je me disais « je ne sais pas pourquoi j’y vais » ; le soir, je me disais « je ne sais pas pourquoi j’y étais ». Alors qu’en SEGPA, c’était totalement différent : je me disais toujours que j’allais en cours mais j’avais ce côté chaleur que je ne retrouvais pas ailleurs et qui me faisait du bien. S’il y a un petit qui est en difficulté et qui vient me voir, qui a peur d’aller en SEGPA, je lui dirais qu’il va avoir une bonne cohésion avec son groupe car ils auront tous des difficultés, et c’est ça qui les rassemble. 

Et vous, Mme V. pour rassurer un parent, qu’est-ce que vous lui diriez ?

– Que c’est le mieux si l’enfant a des difficultés. Qu’il va y avoir cette entraide entre les jeunes et que les enseignants sont là pour les aider au mieux. Ils ne sont pas là pour les juger ni pour les mettre en difficulté.

Du coup, votre regard a complètement évolué : de votre peur, du refus d’orientation lors de la première 6ème, vous avez cheminé…

– Oui, j’ai vu comment a évolué Jérémy malgré ses difficultés. Il est quand même dans un métier qu’il aime maintenant et c’est grâce à la SEGPA. S’il avait suivi le cursus ordinaire, il aurait été en échec scolaire.

(Jérémy ajoute) – Je crois que j’aurais fini par ne plus y aller.

Mme V. – Tu aurais fini par refuser l’enseignement à force d’être en échec. Tu aurais été en décrochage scolaire.